lundi 25 août 2008
Tu n'as rien vu à Sallertaine. Rien.
samedi 23 août 2008
"regio dissimilitudinis", par Anthony Poiraudeau

REGIO DISSIMILITUDINIS
"Tu as frappé sans cesse la faiblesse de mon regard par la violence de tes rayons sur moi, et j'ai tremblé d'amour et d'horreur. Et j'ai découvert que j'étais loin de toi, dans la région de la dissemblance[1]."
Saint-Augustin
Regardons le fond des images, ces pans qui nous font face et qui portent ce que nous voyons. Le fond des quatre tableaux que Tony Guillois montre ici est indistinct et enveloppant, il est difficile d'y voir quelque chose de bien précis. Ces fonds ne ressemblent à rien d'arrêté : c'est du sombre, du brun, du gris. Mais ce ne sont pas des espaces de vacuité, ce sont des milieux actifs, d'où naissent les formes, les figures et les corps représentés par le peintre – qui sont comme organiquement nés d'un arrière-plan matriciel. Parler ici de premier plan et d'arrière-plan semble mal approprié, car le potentiel de figuration est d'une même intensité sur l'ensemble de la surface de chaque tableau. Le “fond” figure autant que les “figures”, les figures figurant en acte ce que le fond figure en puissance.
S'il peut être ici question de figure, c'est surtout au sens de la théologie médiévale, pensée de la regio dissimilitudinis, pour laquelle une figure n'est pas un motif de signification fixe et de représentation univoque. L'enjeu de la figure n'est pas d'abord la ressemblance, mais le détour vers une présence toujours différée. Dans ces conditions, l'image se donne comme le vestige de ce qu'elle figure. Or, chez Tony Guillois, les corps qui s'extraient de leur milieu sont des chairs en souffrance. Ces carcasses sont prises par la destruction et le dépérissement mais on peut encore distinguer quelque chose du corps sain qu'elles ont peut-être été. C'est exactement ce qu'est un vestige. Le travail d'écorchement et arrachage de la surface redouble cette nature de vestige et donne aux tableaux leur pleine mesure figurale : ce sont autant des images de vestiges que des vestiges d'images. La défiguration n'est pas seulement représentée, elle est aussi présentée et réalisée. Le visuel est le milieu indépassable du visible. Nos yeux fouillent le visible quand le visuel nous claque au fond des yeux, car il est une puissance, la puissance par laquelle une image peut nous regarder, nous voir. Ce qui résiste à notre regard nous voit d'une certaine façon – nous menace ? –, nous promet la mort et peut-être l'amour : c'est ce qui fera toujours retour, ce dans quoi notre regard est pris, lui qui croit trop souvent ne faire qu'y prendre. Toute chose visible et muette nous faisant face nous dit quelque chose de nous-mêmes que nous ignorons et que nous ne pourrons jamais tout à fait connaître – car il est impossible de penser et de voir depuis ailleurs que soi-même. Cette vision, cette connaissance depuis radicalement ailleurs que nous-mêmes, il nous est possible de les concevoir, mais pas de les habiter. Cette place ne sera jamais la nôtre, mais tout ce qui est à cette place, c'est à dire tout ce que nous pouvons voir – tout sauf nous qui voyons – d'une certaine façon nous voit.

La dialectique du visuel et du visible est aussi une question de surfaces. Les cinq œuvres de Lagueff sont à la fois des images figuratives – on peut y reconnaître quelque chose – et des agencements de surfaces. Le regard va et vient entre ce pour quoi les surfaces colorées se donnent (une Vierge à l'enfant sous une arcade par exemple) et ce qu'elles sont : des zones colorées qui se côtoient, monochromes, épurées et très nettement délimitées. Lagueff pousse très loin l'aspect de surface neutre et distante des éléments qu'il agence de manière complexe, de telle sorte que la scène ne se reconnaît pas toujours au premier regard. Pourtant, le sujet et le récit de ces images ne sont pas du tout secondaires, il engage les sentiments les plus profonds de l'artiste et ont certainement une fonction cathartique.

Ce cycle de cinq tableaux est une confession décorative, qui ne renonce ni à l'agrément, à la légèreté et à l'immédiateté du décor, ni à la gravité et à la rumination de la confession. Le regard cherche ce qu'il y a à voir, le visible, la scène représentée, mais il est aussi ramené à la stricte surface de toile peinte, recouverte de papier peint et de courbes de carton-plume. Cette surface décorative est le milieu visuel de la scène visible, c'est cette surface qui nous voit pendant que nous regardons la scène peinte. Une image, en représentant une réalité absente, quelque chose qui n'est pas là, se présente aussi elle-même – elle se donne, dans le même temps, à la fois pour ce qu'elle n'est pas et pour ce qu'elle est.

Tant Lagueff que Laurent Dupont auront abordé la question de “la région de la dissemblance” selon un point de vue consécutif à la pensée de Saint-Augustin. La série de toiles de Lagueff fait le récit d'une construction familiale : l'homme seul rencontre une femme et ensemble ils ont une descendance ; mais l'intimité et la proximité entre ces êtres ne seront jamais fusion, la ressemblance ne sera jamais parfaite. Les textes que Laurent Dupont a recopiés sont issus des livres que lisaient ses proches au moment où il réalisait son œuvre ; c'est une manière de les rejoindre dans leur solitude d'individu, que nul autre qu'eux-mêmes n'habitera jamais. La dissemblance est ici pensée comme différence irréductible entre les personnes, conséquence fatale de la séparation des individus – c'est le sort des êtres déchus, dissemblables de l'Unité de Dieu si ardemment désirée par Saint-Augustin.
Lettrage de Jean-Marie Flageul rejoint Les Lectures hivernales quant à la question du lisible. L'œuvre est constituée de deux grandes bandes de papier imprimé, chacune d'un mètre de large et de cinq mètres de haut. Ces deux parties ont chacune pour fond trois pages de texte agrandies, issues de l'édition de poche d'Au Bonheur des dames d'Emile Zola. Ce support lisible est dissimulé (dissimulé et dissemblable sont étymologiquement parents et concernent tous deux une altération de l'apparence) sur de larges pans par du noir qui détoure de grandes lettres : sur toute la hauteur des deux grandes bandes de papiers, le texte imprimé des pages du livre sert de fond aux lettres écrivant “AU BONHEUR DES DAMES”. Le plan du lisible passe à l'échelle de toute la hauteur de l'oeuvre et engage un recul spatial du lecteur. Quant au plan initial du lisible, que sont les pages agrandies du livre, il est bien plus un plan du visuel : le texte, qui ne sera guère lu mais identifié comme texte et comme page de livre, est orné suivant les motifs que l'oeil capte parmi l'agencement des lettres. Des lignes de texte sont regroupées en des bandes colorées, des zones de blancs entre les lettres sont surlignées de couleurs vives, comme des serpentins qui courent de haut en bas des pages, faisant fi du potentiel de significations verbales au coeur duquel ils se fraient un chemin en zigzaguant. La visibilité du lisible est ici matière de visualité. La lisibilité des deux textes est à la fois redondante l'une de l'autre – l'un écrit le titre du roman duquel est extrait l'autre – et conflictuelle : on ne peut lire “AU BONHEUR DES DAMES” sans cesser de lire Au Bonheur des dames, et vice versa. Cette oscillation du regard, cette dialectique est aussi celle du visuel.
[1] Saint-Augustin, Confessions (391-400), livre VII, chapitre X, in Oeuvres, volume XIII, traduction E. Trehorel et G. Bouissou, Paris : Desclée de Brouwer, 1962, pp. 616-617
[2] Ce texte doit beaucoup à l'ensemble de la pensée de Georges Didi-Huberman, citons en particulier Fra Angelico : dissemblance et figuration, Paris : Flammarion, 1990 et Devant l'Image : question posée aux fins d'une histoire de l'art, Paris : Minuit, 1990.
dimanche 17 août 2008
Publication R.A.B. : La Région de la dissemblance est disponible

Publication d'R.A.B., La Région de la dissemblance , création Jean-Marie Flageul pour Harrty-Tzana, 2008
La dernière exposition en date d'R.A.B., La Région de la dissemblance, qui s'était tenue à l'espace culturel Le Volume, à Vern-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine) du 1er mars au 5 avril 2008, a donné lieu à une publication.
Le livret deux couleurs, mis en page et en forme par Jean-Marie Flageul pour Harrty-tzana, comprend 12 pages, 6 illustrations et un texte théorique.
Cette publication est gratuite et disponible sur simple demande à notre adresse électronique : collectifrab@yahoo.fr
L'ensemble du projet s'est organisé ainsi : nous avions communément décidé que je donnerais à mes camarades un thème de travail pour l'exposition de Vern-sur-Seiche. J'ai préféré ne pas y exposer moi-même et fournir un point de départ plutôt qu'un thème. Mes cinq comparses ont réagi sous la forme de l'oeuvre (ou des oeuvres) qu'ils ont montrée lors de l'exposition. La partie la plus conséquente de mon travail intervint à la suite du dévoilement des oeuvres : il consista en la rédaction d'un texte théorique sur les oeuvres exposées par les cinq compères, publié dans un livre sur l'exposition, conçu par Jean-Marie, reproduisant également des images des oeuvres présentées.
J'ai proposé le point de départ suivant à Erwan, Jean-Marie, Lagueff, Laurent et Tony : une citation de Saint-Augustin, extraite des Confessions :
"Tu as frappé sans cesse la faiblesse de mon regard par la violence de tes rayons sur moi, et j'ai tremblé d'amour et d'horreur. Et j'ai découvert que j'étais loin de toi, dans la région de la dissemblance."[1]
Dès lors, furent prévus le titre de l'exposition et de la publication (à savoir La Région de la dissemblance), ainsi que les axes problématiques du texte que j'allais rédiger (à la condition, bien sûr, que les oeuvres présentées par mes amis me permettent un usage pertinent de ces axes - ce fut le cas, me semble-t-il) : visuel - visible - lisible.
Je dois à l'honnêteté intellectuelle d'indiquer que cette citation de Saint-Augustin, ainsi que ses enjeux théoriques dans le cadre de l'étude des images, ont été portés à ma connaissance par les travaux de Georges Didi-Huberman, et que consécutivement, le contenu de mon texte leur doit beaucoup[2].
Anthony
Notes :
[1] Saint-Augustin, Confessions (391-400), livre VII, chapitre X, in Oeuvres, volume XIII, traduction E. Trehorel et G. Bouissou, Paris : Desclée de Brouwer, 1962, pp. 616-617. Je souligne.
[2] Notamment Fra Angelico : dissemblance et figuration, Paris : Flammarion, 1990 et Devant l'Image : question posée aux fins d'une histoire de l'art, Paris : Minuit, 1990
vendredi 8 août 2008
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Anthony, big brother friend