Ce texte était un document de médiation écrit pour l'exposition L'Insouciance anxieuse au C.A.C. Georges Brassens de Mantes-la-Jolie (78), en décembre 2005. Ce document fut réimprimé, dans une version légèrement modifiée, pour l'exposition A la première Personne, en octobre / novembre 2006 à la regrettée Galerie du bar Le Blue Note, à Nantes. C'est cette dernière version qui est publiée ici.
Anthony
R.A.B. : L’insouciance anxieuse
"Si tout est art, pourquoi se faire du souci ?" (Ben)
"Si tout est art, pourquoi se faire du souci ?" (Ben)
Qui est R.A.B. ?
R.A.B. est un groupe d’artistes créé à Rennes en 2001. Les quatre membres qui le composent, les compères originels, sont alors étudiants en maîtrise d’arts plastiques à l’université de Rennes 2. Il s’agit, par ordre alphabétique, de Laurent Dupont, Erwan Feigna, Jérôme Gueffier et Tony Guillois. C’est une exposition à la galerie Le Coin, rue Quineleu à Rennes, qui donne l’occasion au groupe de naître : cet événement donne à chacun des membres l’occasion de présenter son travail plastique d’individu et surtout de mettre en chantier des œuvres collectives plus ou moins artistiques. D’ailleurs, le caractère collectif de la production artistique de R.A.B., plutôt que dans les œuvres individuelles – et assez disparates entre elles – de ses membres, est à voir dans l’événement produit par les expositions les réunissant, son retentissement étant de puissance, somme toute, indéterminée. Lors de l’exposition rennaise inaugurale, l’événement collectif a pris plusieurs formes : d’une part, le vernissage a donné lieu à une séance de karaoké dont les clips montraient quelques aventures alcoolisées des jeunes gens ; d’autre part, le lieu d’exposition s’est trouvé aménagé en salon, dans le but d’être un lieu de vie et d’accueil pour les passants et habitants du quartier (prendre un café, un verre de rouge, raconter sa vie…). R.A.B. était initialement le sigle d’un slogan provocateur et adolescent : « Rien A Branler », fatigués par avance à l’idée des efforts à fournir pour parvenir à une telle désinvolture, ils préférèrent le faire devenir sigle de « Relation Accueil Bonheur » : c’est à dire à peu près le contraire, sans se rapprocher davantage de l’art, qui, lui, restera finalement sur les murs, témoin muet, sujet de conversation, alibi.
Qu’a fait R.A.B. jusqu’à aujourd’hui ?
R.A.B., auto-satisfait autant qu’il peut l’être de cette première exposition, tombe pourtant assez vite, et durablement, dans le marasme de son organisation interne. Quelques mèches sont allumées : tennis sous l’effet de substances psychotropes, chorégraphie, projets autour de la Citroën BX de l’un des membres, projet de traverser la France en auto-stop, déguisés en extra-terrestres. Hormis la mise en service d’un site Internet, rien de concluant n’est concrétisé. Le recrutement d’un membre-théoricien et l’idée d’enregistrer les échecs successifs, la différence entre l’énergie dépensée et les résultats obtenus pouvant faire œuvre, tout ça n’y changera rien. Les membres pensent un moment organiser la cérémonie funéraire de R.A.B. Cette dernière idée étant elle aussi laissée sur le bas-côté, R.A.B. sombre dans le coma.
Le réveil a lieu en 2003 : de nouveau, R.A.B. aime à partager le goût des nourritures terrestres et organise une exposition au-dessus d’un magasin de lingerie, à Rezé, près de Nantes. Le noyau dur du groupe s’est étoffé de deux nouvelles personnes : Jean-Marie Flageul et Anthony Poiraudeau. L’événement rezéen, intitulé Juste pour faire joli synchronise exactement l’exposition et son vernissage, l’un comme l’autre dans la nuit du 1er au 2 mars 2003.
Entre temps, la moitié du quatuor originel a rejoint les rangs du corps enseignant, un troisième quart n’étant guère éloigné de ces mêmes parages (le quatrième quart ne s’y faisant définitivement pas prendre). Malgré cette entrée dans la vie active, R.A.B. poursuit tranquillement son existence : une nouvelle exposition, intitulée Contamination, a lieu en mai 2005 dans le 18ème arrondissement de Paris. Elle réunit six Eugènes de Rastignac, montés à la capitale, les six mêmes personnes que la fois précédente. Même principe : une seule nuit voit se dérouler vernissage et exposition.
Et maintenant ?
Après l’échec public d’une nouvelle exposition à Mantes-la-Jolie en décembre 2005, chaque membre du groupe poursuit de son côté, entre les réunions, sa démarche personnelle avec plus ou moins d’assiduité, avec souci assurément : Tony Guillois peint et déchire sur grands formats des chairs en souffrance ; Jérôme Gueffier (Lagueff) désamorce, par des figurations colorées au graphisme et à la propreté industrielles, sa proximité angoissée d’Eros et Thanatos ; Laurent Dupont a orienté son travail vers l’édition de livres d’artistes et l’organisation d’expositions d’artistes édités dans sa collection Le Sot l’y laisse ; Erwan Feigna construit des systèmes de projections d’images, avec projecteurs de lumières, ventilateurs, miroirs, etc., tout en continuant à peindre.
Alors, marrants les mecs de R.A.B. ? L’objectif de leurs réunions est assurément de se marrer, oui… Ils aimeraient avoir le culot de ne faire que n’importe quoi, ou la force que rien de ce qu’ils font ne soit n’importe quoi. Le postérieur entre ces deux chaises trop lointaines, il tâchent à la fois de faire le plus sérieusement possible individuellement – ce sont les œuvres aux murs – et le moins sérieusement possible collectivement – c’est ce qui se passe entre les murs. Ce sont du moins les objectifs, une manière de les comprendre en tout cas.
Entre deux chaises, R.A.B. est un sale gosse avec un bon fond, ou peut-être un enfant sage qui rêve de faire un croche-pied à la maîtresse ; il a dans les deux cas largement dépassé l’âge.
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